Nostradamus
Est-ce suffisant pour faire de lui un agent secret à l'influence prépondérante ? Les jeux de mots n'étaient-ils pas d'usage en ce XVIe siècle ? Pour définitivement le cataloguer dans un cercle secret, il faudrait un preuve plus tangible. Or cette pièce, nous l'avons. Citée anecdotiquement dans la plupart des biographies elle fait état du passage de Nostrdamus dans la ville de Turin en 1556, mais de sa signification nul de dit mot. Alors aussi muette soit-elle, nous allons la faire parler.
Au début du XIXe siècle, un promeneur, M. Carrera, remarquait en banlieue de Turin une plaque de marbre. On y lisait : 1556 / NOSTRE DAMVS A LOGE ICI/ ON IL HA LE PARADIS LENFER/ LE PURGATOIRE IE MA PELLE/ LA VICTOIRE QVI MHONORE/ AVRALA GLOIRE QVI ME/ MEPRISE OVRA LA/ RVINE HNTIERE.
Cette plaque indiquait sans doute le passage dans cette maison du célèbre voyant mais on en ignorait la raison.
Cette relation parut effectivement dans deux articles du Courrier de Turin (n° 251 du 26 décembre 1807, p. 1177 et n° 260 du 29 janvier 1808, p. 1209). Elle signalait la curieuse inscription trouvée au-dessus de la porte d’une maison, « Cascina (ferme) Morozzo, via Michele Lessone, numero civico 68 » à une demie-lieue au nord-ouest de Turin. L'affaire fut pourtant sans suite...
Quelques générations plus tard, en 1934, Coraddo Pagliani dans un article du bulletin municipale de la ville de Turin (Della Rassegna mensile Municipale), refit mention de l'inscription liminaire y adjoignant un cliché photographique. En France, en 1939, Charles Reynaud-Plense, dans une nouvelle édition des Centuries, reproduisit le document, sans plus de commentaire...
Et pourtant cette plaque est une des seules preuves matérielles, et d'un passage de Michel de Nostredame dans cette ville, et surtout d'une marque importante dans sa quête initiatique. Car à Turin, en l'an de grâce 1556, on le reçut en maître...
En 1555, ayant publié son almanach pour l'année et ses premières Centuries, Nostradamus est déjà célèbre. Au mois d'août, le roi Henri II le reçoit à la cour. Après une brève entrevue, il repart incognito nanti d'une maigre récompense, mais la puissante, la redoutable reine Catherine de Médicis restera toujours en contact avec lui. Elle le consultera à plusieurs occasions.
Des voyages en Italie, Nostradamus en a effectué plus d'un, mais celui-là est, sans doute le plus prestigieux. En 1556, à Turin, qui deviendra trois ans plus tard capitale de la Savoie, il va être institué Grand maître dans l'Ordre du très secret Prieuré de Sion.
Cette plaque, découverte par M. Carrera, était citée sans commentaires par des biographes ne sachant l'interpréter. En 1993, un hasard heureux, suite à la lecture de L’Enigme Sacrée, allait me mettre sur la voie. Les auteurs de cet ouvrage admettent qu’un cercle très fermé a présidé à l’installation de l’Ordre du Temple lors de la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon en 1099. Cet ordre lié intimement avec ce dernier jusqu’en 1188 a pris plusieurs dénominations :Prieuré de Sion, Ordre de Sion, Ormus et Ordre de la Rose-Croix Veritas(les 13 membres au sommet de la hiérarchie se nomment encore actuellement les treize Rose-Croix). De sa création à 1188, l’Ordre du Temple et le Prieuré de Sion eurent les mêmes Grands maîtres.
A partir de 1188, il y a scission, les deux Ordres se séparent. Tout en donnant dans leur livre la liste des Grands maîtres qui se sont succédés jusqu’en 1963, les auteurs remarquent que les deux sources dans lesquelles ils ont puisé leurs informations diffèrent sur un seul Grand maître, qui présida à la destinée de l’ordre de 1527 à 1575, Ferdinand de Gonzague, et ajouterai-je, bizarrement il est contemporain de Nostradamus. Voici le texte : « Nous nous sommes trouvés, avec lui, confrontés à la seule information manifestement fausse de tous les « documents du Prieuré ». Selon la liste des Grands maîtres de Sion figurant dans les « Dossiers Secrets », Ferrante (Ferdinand de Gonzague) aurait en effet présidé aux destinés de l’ordre jusqu’à la fin de sa vie en 1575. Or selon d'autres sources, il serait mort près de Bruxelles en 1557, dans des circonstances peu claires il est vrai, et pouvant laisser croire qu’on l'avait seulement cru mort ... »
Ils ajoutent : « C'est pourquoi nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il ne s'agit pas en l'occurence d'une erreur, mais plutôt d'un moyen déguisé de transmettre un message important, car dans le n° 4 de « Circuit » (une des dénominations de la revue du Prieuré), on peut lire ce petit message bien étrange … »
Message reçu... Ce message restera énigmatique pour les auteurs de ce livre, il n’en sera pas de même pour nous si nous nous remémorons l'inscription de Turin. En voici le texte : «... Ferrant devait mourir le 15 novembre 1557, mais déjà destitué par le convent de Turin en 1556, son remplacement n'avait posé aucun problème. Michel devait pendant dix ans marquer le destin du monde. Sa mort sema pendant neuf ans la discorde dans l’Ordre, et l'interrègne fut assuré par le « triumvirat », dont Nicolas Froumenteau et le duc de Longueville étaient les dignitaires ...»
Ce Michel n’est autre que Nostradamus qui mourut effectivement dix ans plus tard en 1566 (le 1er juillet). Les termes employés sont sans équivoque, relevons-les : « son remplacement n'avait posé aucun problème », à cette date le nom de Nostradamus circulait dans toutes les cours d’Europe; « marquer le destin du monde », en effet il a rédigé ce destin pour cette époque et celles futures grâce à ses prophéties. Sa mort a provoqué une rupture ou un schisme dans l’Ordre et l’on imagine aisément pourquoi. Qui aurait l’audace après lui, d’occuper le siège périlleux.
Ce petit texte ne nommant que deux personnages du triumvirat, il nous fallait rechercher le troisième. Son nom est donné dans l’une des planches généalogiques au début du livre : Les ducs de Guise et de Lorraine (d’après l’ouvrage de Philippe Toscan du Plantier). Il s’agit vraisemblablement de Charles de Guise (1525-1574), cardinal de Lorraine, désigné comme régent du Prieuré de Sion en 1557.
Cette hypothèse de Nostradamus Grand maître du Prieuré de Sion s'est transformée en certitude à la découverte, en 1995, d'un article signé Pierre Plantard de Saint-Clair paru dans un hors-série de Nostra en janvier 1983 : « C'est à Turin, en 1556, que Nostradamus est initié au grand secret des temps à venir ... Mais ce n'est qu'en 1556 que, devenant un Grand maître de l'ordre [il ne cite pas lequel], ce grand secret lui fut confié.. » et l'envoi final qui ne peut laisser aucun doute par les termes qu'il emploie « Voici donc le message du sage poète de Salon-de-Provence, qui a perpétué par ses écrits les secrets de l'hermétisme au-delà des siècles jusqu'à nous, nous annonçant le Paradis, l'Enfer ou le Purgatoire... » Pierre Plantard était à cette époque Grand maître du Prieuré de Sion (1980-1984). Il savait le lien qui unissait cette plaque de marbre et Nostradamus dont il connaît l'œuvre littéraire. De nombreux documents ou récits publiés dans l'Enigme Sacrée émanent de lui.
Les auteurs de L'Enigme Sacrée énumèrent 27 Grands maîtres mais n'en nomment que 26. Il faut donc bien comptabiliser Michel de Nostredame comme l'un des leurs.
Jean de Gisors, le premier de la liste, fut élu le 15 août 1188, fête de Notre-Dame. De 1188 à 1963, l'ordre compta 27 Grands maîtres, les hommes portaient le nom de Jean; les femmes, Jeanne; leur titre : Pasteur et Nautonnier. Remarquons que le pape Jean XXIII incarnait la 107e devise Pastor et Nauta de la Prophétie des papes attribuée à saint Malachie. Il y eut donc deux Jean XXIII contemporains, décédés la même année : l'un Grand maître du Prieuré de Sion, Jean Cocteau (1918-1963), l'autre souverain pontife, Angelo Roncalli (1958-1963). Ce dernier, dans sa prophétie qui fut publiée treize ans après sa mort par Pier Carpi, est dit avoir été initié en 1935 en Turquie dans l'ordre de la Rose-Croix.
Titre
(† vers le 23 déc. 1574) secondé par
Nicolas Froumenteau et le duc de Longueville
7
Cette appartenance de Michel de Nostre-Dame, à l’un des ordres les plus secrets encore actuellement est lourde d’incidences. Elle ouvre toutefois de nouveaux horizons sur la grandeur du personnage car s’il en est élu Grand maître en 1556, à quand remonte son affiliation ? Certainement à un très jeune âge. Notons que son nom de famille a pu jouer un rôle prédestiné dans ce choix puisque le premier Grand Maître fut installé le 15 août, fête de Notre-Dame. Cette même date a peut-être été institiée comme jour spécial pour ces élections paticulières.
Mais cette plaque de marbre pourrait-elle nous révéler d'autres secrets qui ont été cachés – visibles par tous – pendant des siècles. Examinons-la attentivement.
Le tracé non régulier des lettres, les différences de leurs hauteurs, l'absence d'alignement horizontal net, témoignent d'une main qui n'est pas celle d'un graveur professionnel. Les mots sont découpés de manière étrange. Bien sûr, elle aurait pu être réalisée par un artiste local pour lequel la langue française serait incertaine. Alors ces approximations orthographiques pourraient s'expliquer. Cependant il y a trop de maladresse dans cette exécution pour qu'elle soit innocente.
Déjà le contenu du texte soulève des questions. Les trois états qui sont mentionnés rappelant ceux de la Divine Comédie de Dante : voyage spirituel initiatique, sont appuyés par les termes « a logé », et non « a vécu » ou « a habité ». Cela suppose qu’une étrange réunion eut lieu dans cette maison. D’autant plus étrange que peu d'auteurs écrivant sur Nostradamus ne le rattachent à quelque cercle ésotérique ou hermétique que ce soit, et qu’aucun cercle actuellement connu n’a l’audace de le déclarer parmi ses anciens adhérents (à part quelques représentants du Prieuré de Sion sous une forme voilée).
Seule une analyse poussée peut nous en dire plus. Notons une fois de plus qu'il faut parfois entrendre ce que l'on lit, et aussi voir ce qu'on lit. Un exemple dans cette plaque de ce qu'on entend : A LOGE ICI ON = A LOGE I SION. Le nom est prononcé mais on peut le trouver en traçant une première verticale à partir du S de NostrE. Nous rencontrons les seules lettres : S I P R. Article II des statuts du Prieuré de Sion datés du 5 juin 1956 (soit 400 ans après la visite de Nostradamus à Turin) et signés par Jean Cocteau alors Grand maître : L'ordre a pour dénomination : « Sionis Prioratus » ou « Prieuré de Sion ». Ainsi reconnaît-on la signature du SIonis PRioratus. Sion est nettement visible à partir des deux lettres OS de NOSTRE et de N I de ON IL en haut à gauche.
De plus il y a quatre « fautes » : ON à la place de OÙ, HA au lieu de A ou Y A, OVRA pour AVRA parfaitement orthographié plus haut, et HNTIERE dont le H remplace un E. De ces fautes une doit être écartée comme forme usitée à cette époque, c'est HA. Nous le trouvons dans la Lettre-préface à César qui introduit les premières Centuries : « & ie dis franchemêt que à ceux à qui sa magnitude immense, qui est sans mesure & incõprehensible, ha voulu par lõgue inspiration melãcholique reuéler... » « moyennant le prophete viêt à iuger de cela que son diuin esperit luy ha dõné par le moyen de Dieu le createur, & par vne naturelle instigation... » et dans Le Vray et Parfaict Embellissement de la Face traité sur les cosmétiques paru chez Plantin en 1557 commençant par : « Pour accoustrer le sublimé qui ha telle vertu... »
Nostradamus aurait été nommé Grand maître, le titre affecté à cette fonction est, comme nous l'avons vu : Nautonnier. Le cercle hiérarchique du Prieuré de Sion se nomme Arche Kyria ou Arche des treize Rose-Croix, il est composé de 13 membres : d'un Nautonnier, de trois Princes noachites de Notre-Dame ou connétables, et de neuf Croisés de Saint-Jean ou sénéchaux.
Les trois lettres fautives de la plaque NOH, sont les trois lettres hébraïques (Noun, Vav, Heith) utilisées pour écrire Noé ou Noah. Que celui qui a des yeux voit. Le maître de l'arche, c'est bien Noé et c'est sans doute le navigateur (nauta) et pasteur (pastor) – il rassembla les animaux – le plus célèbre. La plaque certifie donc que Nostradamus a logé à Sion en tant que Noah, c'est-à-dire chef suprême de l'Ordre.
La deuxième verticale de la plaque rencontre les lettres L V. Cela me rappelle le quatrain de mars de l'almanach pour l'an 1555 : O Mars cruel, que tu ƒeras à craindre / Plus eƒt la Faux avec l’Argent conioint, / Claƒƒe, copie, eau, vent, lombriche caindre, / Mer, terre trefue, l’amy à L.V. s’eƒt ioint. Sans connaître l'identité de cet ami, il est évident que lui aussi est rentré dans l'Ordre à cette date. On peut penser à Anne de Montmorency, déjà membre de l'Ordre de la Jarretière, qui le présenta au roi en sa qualité de connétable (du latin comes, ami compagnon), l'ami par excellence.
La troisième verticale donne VIA : la voie, en latin...
Beaucoup de biographes ont appelé la villa où fut apposée la plaque – aujourd'hui disparue – Vittoria à cause des termes : ie me nomme la vic toire, or, dans la relation faite en 1807, le promeneur ne parle que d'une ferme ou d'un mas (cascina) Morozzo. La victoire, il faut la chercher ailleurs. Elle n'a pas à être mentionnée, elle est évidente. Cette victoire est une figure allégorique du convent ou plutôt de la hiérarchie du Prieuré de Sion qui, fait unique dans son histoire, va déposer son propre Grand maître pour en élire un nouveau. C'est l'Arche (ou arc) dont on honore les vainqueurs. Arche on l'a vu désigne aussi l'embarcation de Noé. Présente dans le mot synarchie, gouvernement induit par un cercle restreint; elle signifie en grec principe, origine. C'est le deuxième mot de l'Evangile de saint Jean : En Arché en o Logos (Au commencement était le verbe). Quant à Kyria, c'est le Seigneur, celui qui a les pleins pouvoirs (du grec kurios), on le retrouve dans l'expression dominicale : Kyrié eleison (Seigneur aie pitié).
Croire que le passage de Nostradamus dans leur Ordre a été connu de tous les Grands maîtres du Prieuré de Sion est une erreur. Peu savaient. Charles Nodier, contemporain de la découverte de la plaque, Grand maître de 1801 à 1844, l'ignorait. Dans ses Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Paris 1829, il cite une partie du manuscrit inédit de César de Nostredame, le propre fils de Nostradamus : L'Hippiade ou Godefroy et les chevaliers, poème de seize mille vers octosyllabiques. Le thème lui est cher car Godefroy de Bouillon est précisément le fondateur légendaire de Sion, pourtant il commente : « Ce n'est pas que César de Nostradamus fût un homme sans talent; tout au contraire; il en avait mille fois plus que son père le prophète, dont la crédulité d'un peuple stupide a fait la ridicule réputation... » On se demande avec le recul qui était le plus stupide des deux... le peuple ou Charles Nodier.
Cette plaque est-elle le seul indice de l'appartenance de Michel de Nostredame à Sion ? De l'exitence même de Sion ? Certainement non !